1. Le résultat des élections
Les élections se sont globalement déroulées selon les prédictions des sondages. Une poussée de l’extrême droite dans les plus grand pays (AFD en Allemagne, RN en France, FDI en Italie), mais dans l’ensemble, un Parlement où la coalition majoritaire actuelle a suffisamment de voix pour se maintenir et où une coalition entre le Parti Populaire Européen (« European Peoples’ Party ») et d’autres partis de droite est peu probable
Il faut s'attendre à des manœuvres politiques autour du choix du prochain président de la Commission Européenne (CE), à des changements mineurs de politique (peut-être moins de transition écologique et plus de défense et de sécurité), mais dans l'ensemble, nous n’attendons pas de grands bouleversements dans l’agenda politique de la CE et du Parlement Européen (PE).
La plus grande surprise est venue de France où le Président Macron a décidé de convoquer de nouvelles élections législatives avant celles programmées en 2027, après une victoire écrasante du RN (31,4%), parti de Marine Le Pen.
2. Pourquoi le président Macron a-t-il convoqué des élections générales ?
Peu de personnes ont évoqué ce scénario, de sorte que trouver une explication unique au choix de M. Macron peut sembler un peu futile. Cependant, en guise de rationalisation a posteriori, nous tenons à souligner les points suivants.
- Les finances publiques françaises sont dans une situation difficile après la dégradation de la note souveraine par l’agence S&P et la faiblesse des recettes fiscales. Le vote de la loi de finance de cet automne s’annonce ardu dans ce contexte et il y avait une possibilité que le gouvernement de Macron s’effondre de toute façon. Pour le Président de la République, il est donc préférable d’organiser des élections anticipées pour ne pas subir la situation.
Les opposants non-RN de M. Macron sont dans une situation difficile :
o Les partis modérés pourraient être contraints de s'allier au parti présidentiel afin de bloquer un gouvernement Le Pen/Bardella. Ceci affaiblirait leurs perspectives pour 2027.
o Le parti de M. Mélenchon (La France Insoumise - 10% hier) est dans une position moins favorable qu'en 2022, et il est possible que son allié de 2022 (Parti Socialiste) choisisse de faire cavalier seul cette fois-ci, l’isolant davantage avant 2027. Le bon score du PS hier renforce ce scénario.
o Peut-être que M. Macron pense que M. Mélenchon est le véritable adversaire pour 2027 : si on considère comme acquise la présence de Mme Le Pen au second tour, le risque majeur pour le successeur de M. Macron est donc simplement de ne pas être au second tour.
- Même si les calculs de M. Macron se retournent contre lui et que le RN obtient une majorité absolue au Parlement, il y a une possibilité que Mme Le Pen ou M. Bardella gèrent suffisamment mal le pays, pour que cela réduise ainsi leurs chances de l’emporter en 2027.
3. Quelles sont les conséquences économiques et politiques ?
Quelles sont les différentes possibilités qui s’offrent à la France au cours des prochains mois et quels sont les impacts possibles sur les marchés ?
Scénario 1 - M Macron s’en tire à bon compte
Les élections législatives françaises ne se déroulent pas selon un système de scrutin uninominal à un tour, mais selon un système de 579 élections à deux tours. Cela signifie que les alliances locales et l'histoire politique jouent un rôle crucial dans le résultat. Il est très difficile de traduire les votes nationaux en nombre de députés et la relation n'est pas linéaire, comme le montre le graphique ci-dessous.
Dans ce scénario, la stratégie de M. Macron fonctionnerait, car les partis modérés accepteraient de rejoindre son gouvernement pour bloquer le RN - qui serait le principal parti au Parlement. Ne vous attendez pas à des réformes importantes, mais ne vous attendez pas non plus à des chocs économiques ou politiques significatifs.
Scénario 2 – la 4ème République est de retour
Dans ce deuxième scénario - qui pourrait suivre chronologiquement le premier, ou inversement - la France passerait d'une coalition instable à une autre, avec un Parlement faible, des gouvernements éphémères et peu de réalisations concrètes. Cependant, il convient de rappeler que près de 80% des nouvelles législations en France ne sont que des transpositions la législation européenne – qui est en grande partie contraignante. Des projets européens majeurs, tels que l'union des marchés de capitaux ou la réalisation de l'union bancaire, seraient probablement bloqués, mais nous ne pensons pas que les investisseurs s’en inquiètent. La France devrait apprendre à vivre un peu plus comme les Pays-Bas, où les coalitions mettent des mois à se former !
Scénario 3 – Le RN remporte une majorité absolue
Si le parti de Mme Le Pen remporte une majorité absolue - ce qui nous semble peu probable, peut-être 20% de chances - les réactions des marchés dépendront principalement du programme économique du nouveau gouvernement. Il convient de souligner que Mme Le Pen a depuis longtemps abandonné ses politiques les plus radicales, telles que la sortie de l'euro, pour laquelle un référendum serait de toute façon nécessaire.
Au risque de simplifier à l’extrême un environnement complexe, nous identifions deux "sous-scénarios".
o L'approche "Meloni" - dont M. Macron et Mme Le Pen sont certainement très conscients. Bien qu'elle ait initialement inquiété les marchés, la première année et demie du mandat de Mme Meloni a été un succès sur certains aspects clés : elle est parvenue à maintenir de bonnes relations avec les autres pays de l'UE, n'a pas introduit de politiques économiques radicales ou perturbatrices et a remporté confortablement les élections européennes. Elle pourrait servir de modèle pour un parti RN désireux de remporter les élections présidentielles de 2027. Il ne s'agit évidemment pas ici de soutenir ou d'attaquer la politique de Mme Meloni, mais simplement de souligner que, du point de vue des marchés, son mandat s'est déroulé sans incident jusqu'à présent.
o L'approche radicale - la principale différence entre Mme Meloni et Mme Le Pen réside dans leur programme économique. Même si les détails de son programme restent assez flous, nous pensons qu'il est juste de dire que Mme Le Pen est économiquement plus à gauche. Elle soutient davantage d'investissements publics, propose une marche arrière sur la réforme des retraites, envisage des taxes sur la spéculation financière, etc. Du point de vue des marchés, le principal risque serait donc qu'elle s'engage dans des dépenses publiques massives qui pourraient compromettre les objectifs de déficit public de la France et créer un fossé avec l'Allemagne ou d'autres pays de l'UE. Nous ne pensons pas qu'une telle position serait tenable sur le long terme (comme Mme Truss peut en témoigner), mais c'est clairement le scénario baissier pour les marchés.
Du point de vue des banques, tout cela n'a que des impacts très indirects. Un événement de crédit sur les OAT reste un scénario exceptionnellement improbable et les bonnes performances récentes des banques sont principalement dues au changement radical de la politique monétaire depuis 2022. Comme le montrent les graphiques ci-dessous, les actions des banques françaises ont été les plus durement touchées - mais n'est-ce pas toujours le cas lorsqu'il y a un événement systémique ou politique, même sans conséquences sur la rentabilité ?
Nous pensons que la réaction du marché sur d'autres classes d'actifs est plus pertinente et montre que les investisseurs ne sont pas trop nerveux quant aux développements à venir. Les CDS bancaires ont à peine bougé et les contrats à terme sur les obligations françaises et allemandes n'ont pas divergé.
La prochaine étape sera les sondages d'opinion en France, qui donneront une indication préliminaire sur le scénario central ainsi que les probabilités pour le RN d’obtenir une majorité absolue.