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La course aux profits records du secteur bancaire européen est-elle pérenne ?

Les banques européennes ont enregistré une augmentation spectaculaire de leur rentabilité au cours des trois dernières années.

Les analystes ont revu leurs prévisions à la hausse chaque trimestre depuis la fin de l'année 2020, à un rythme seulement vu lors de la bulle des banques d'investissement de 2005-2006. Les prévisions de revenus nets ont grimpé d'environ 70 %, stimulées par un environnement favorable : taux de défaut très bas alors que les taux d'intérêt sont en hausse, fort pouvoir de tarification des dépôts et contrôle rigoureux des coûts. Les banques ont répercuté l’accroissement des salaires et des coûts informatiques sur les clients en augmentant les commissions. Le niveau des provisions est resté dans le bas de la fourchette malgré la pandémie mondiale et la crise énergétique. Mais c'est la hausse des taux d'intérêt qui a donné le véritable coup de fouet, les revenus nets d'intérêts augmentant de près de 40 % en moyenne. 

Pourtant, les marchés ne sont toujours pas convaincus. Les banques européennes se traitent à leur plus bas multiple de valorisation, à la fois en termes absolus et par rapport à d'autres secteurs. Les médias sont dominés par des articles négatifs concernant les pressions politiques, les nouvelles mesures de taxes, le risque d'une guerre des dépôts et les dangers qui menacent les prêts aux entreprises endettées, aux consommateurs en difficulté et aux sociétés immobilières. Le décalage entre les chiffres et la perception semble extrême. En supposant un coût des fonds propres à long terme de 10 % pour le secteur, les valorisations actuelles intègrent en effet une baisse d’environ 40 % des bénéfices. 

Nous pensons que le marché a tort de supposer une érosion substantielle de la rentabilité des banques européennes et qu'une nouvelle expansion des marges est probable. Nous soulignons ci-dessous les points clés de notre réflexion.

A/ Les taux de dépôt devraient rester bas par rapport aux cycles précédents.

L'épisode du "Mad March", qui s'est traduit par des pressions sur le financement des banques régionales américaines, l'effondrement de Credit Suisse et la hausse des spreads de la Deutsche Bank, n'a ironiquement rien changé à la dynamique des dépôts en Europe. Le coût des dépôts continue d'augmenter au rythme lent et progressif observé depuis la première hausse des taux de la BCE. À la fin du mois de juillet, le beta de l’ensemble des dépôts était inférieur à 20 % (contre 40 % aux États-Unis). Bien que les banques proposent des comptes à terme attrayants, des offres d'obligations d'État ou des comptes d'épargne à des taux raisonnables, les clients tardent à retirer leurs liquidités des comptes courants. Nous présumons que le beta atteindra 50 % à la fin de 2024, inférieur aux précédents sommets de fin de cycle de 60 %, en raison de l'excès de liquidités et des faibles ratios prêts/dépôts dans l'ensemble du système.

B/ Bien qu'elle prenne en compte une baisse de taux, la courbe de taux n’intègre pas de pas de baisse significative du revenu net d'intérêt (RNI) en 2024 et 2025. Les commissions sur les prêts et les services bancaires d'investissement rebondiraient fortement dans un scénario d'assouplissement de la politique monétaire, compensant une baisse potentielle des revenus d'intérêts dans certaines banques.

Il est difficile de voir le RNI s'effondrer en 2024 et 2025 malgré les baisses de taux intégrées dans les prix, et ce pour trois raisons. Premièrement, le taux Euribor moyen devrait encore être plus élevé en 2024 et 2025 qu'en 2023 (nous avons commencé l'année avec un taux inférieur à 2 %). Deuxièmement, les actifs et les couvertures ont encore une marge de manœuvre pour être revalorisés. Cela varie beaucoup d'une banque à l'autre, mais même les banques à duration d'actifs courte telles que Caixabank n'atteindront pas leur rendement maximal avant la fin de 2024, malgré les baisses de taux attendues. Troisièmement, le passif devrait rester abordable en raison de la faible demande de prêts et de l'excès de liquidités.

C/ Les provisions de précaution constituent un bouclier décent contre un retournement du cycle de crédit. 

Dans l'hypothèse d'une stagnation en 2023 et 2024 (c'est-à-dire une croissance de 0 %), les modèles estiment que le coût du risque passerait à environ 45 points de base par an, et, si les provisions étaient libérées sur trois ans, à moins de 40 points de base. Ce chiffre est à comparer à un consensus de plus de 45 points de base. Une stagnation ou une petite récession est donc déjà intégrée dans les prévisions des analystes. Les résultats des stress tests de la BCE pour 2023 ont démontré une meilleure résilience de la qualité des actifs que par le passé, suggérant que la politique de souscription des banques est plus conservatrice que jamais. Cela pourrait signifier que même en cas de véritable récession avec une augmentation significative du chômage, le taux de perte pourrait rester inférieur à son niveau historique moyen de récession, de 70 à 80 points de base.

D/ Les banque devraient bénéficier d’une réduction progressive des coûts liés aux dispositifs de garanties, à la lutte contre le blanchiment et à la conformité, et profiter de la transition progressive vers des systèmes basés sur le cloud et l’automatisation par l’IA. 

Les banques ont dû augmenter considérablement leurs coûts de lutte contre la fraude et le blanchiment d'argent au cours des dernières années, car les régulateurs ont accru les pressions sur le secteur. En outre, elles ont dû contribuer à la constitution du Fonds de résolution unique. Ces coûts ont dépassé leurs sommets et devraient diminuer progressivement à partir de maintenant. Sur le plan technologique, les banques ont pu optimiser leurs coûts informatiques en passant au cloud et en s'engageant dans des projets d'automatisation à fort retour sur investissement, tels que les robots clientèle améliorés, les courriels et formulaires auto-générés, les outils de détection et de résolution des problèmes informatiques dotés d'IA et les logiciels de génération de code.

E/ Bien que l'ampleur de l'intervention politique soit inconnue, depuis toujours les banques parviennent à répercuter leur taux d'imposition effectif plus élevé sur les clients. 

L'ampleur de l'ingérence politique constitue une incertitude majeure lorsqu'il s'agit d'investir dans des banques en Europe. Le secteur bancaire est déjà le plus taxé, car il est soumis à un certain nombre de prélèvements et d'impôts supplémentaires introduits après la crise financière et renforcés ces dernières années. Toutefois, l'histoire montre qu'en fin de compte, c'est le client qui supporte le coût, et que de nombreuses banques parviennent à dégager des rendements supérieurs au coût de leur capital en dépit de la lourdeur et de la volatilité de la charge fiscale. Pour le moment, le marché a décidé de rester sceptique quant à la capacité de profit des banques européennes et a adopté une approche attentiste. Nous avons expliqué pourquoi nous pensons que les bénéfices se maintiendront et pourraient même augmenter davantage. Nous n'avons pas d'idée sur le calendrier d'une éventuelle revalorisation : elle pourrait être rapide si les investisseurs pensent que les banques centrales assoupliront quelque peu leur politique alors que l'économie parvient à éviter une récession profonde. Elle pourrait aussi prendre plus de temps si les données macroéconomiques restent floues. Dans l'hypothèse de multiples et de bénéfices inchangés, un investisseur en actions bancaires européennes typiques gagnerait encore un peu plus de 15 % par an, 10 % provenant des dividendes et des rachats et le reste de l'accroissement de la valeur comptable tangible, ce qui lui assurerait une marge de sécurité décente contre les fluctuations de l’opinion publique.